A l’aube du XXe siècle, il y a tant à créer pour les besoins de Wattrelosiens dont le nombre a presque doublé en 30 ans, passant de 14 682 habitants en 1876 à 27 503 en 1906.
La minorité socialiste au conseil municipal reproche au maire, Joseph Thérin, de ne pas consacrer en priorité, lors de l’élaboration du budget municipal, les recettes de la commune aux œuvres d’hygiène (eau potable pour remplacer les puits contaminés, voirie pour supprimer les mares qui croupissent dans presque toutes les rues…).
On comprend qu’apparaissent somptuaires l’installation d’un kiosque sur la Grand-Place (1908) et la création d’un square sur le terrain de l’ancien cimetière, tandis qu’un nouveau champ pour le sépultures s’ouvre au Crétinier et qu’on salue comme un espoir la pose, le 8 octobre 1911, de la première pierre du nouvel Hôtel de ville sur une partie de l’ancien hôpital frappé de vétusté.
Wattrelos tient pourtant le record de la dépense dans le chapitre intitulé Les établissements de charité, pensions et subsides. Les établissements de charité représentent 58 489 F sur un budget de 182 263 F, soit 32 % ou presque un tiers de la dépense totale de la cité, alors que les villes à population équivalente, sinon semblable, dépensent beaucoup moins : Cambrai 2 %, Denain, Maubeuge et Saint-Amand 6 %, Armentières 11 %, Anzin 12 % et Croix 16 %.
Une bien curieuse épidémie...
C’est dans ce contexte qu’éclate la première guerre mondiale. Les Wattrelosiens la découvrent le 21 août 1914 : le 165e R.I. traverse la ville qui devient rouge et bleue, bleue des capotes et rouge des képis et des pantalons. Le dimanche 26 août, nos soldats ne sont toujours pas à Berlin. En revanche, les uhlans patrouillent aux lisières de Wattrelos. La veille, la défaite de Charleroi a ouvert la route à l’invasion. Le 13 octobre, l’occupation commence.
En dépit des conseils de prudence que le maire, Henri Briffaut, donne par voie d’affiches, des garnements habitant le hameau du Petit-Tournai s’avisent, le 23 octobre, d’entasser des cailloux sur la ligne Tourcoing-Mouscron. Cet attentat ne fait aucun mal à l’ennemi mais vaut à six gamins, âgés de 12 à 18 ans, des peines de prison d’une à trois semaines prononcées par le conseil de guerre siégeant à l’Hôtel de ville de Roubaix, assorties d’une amende pour la Ville de 250 000 F à verser dans les moindres délais. En cas de récidive, Wattrelos subira le sort d’Orchies : destruction complète de la cité, maisons, églises et Hôtel de ville incendiés et rasés, et otages fusillés. Le maire est contraint de faire appel au porte-monnaie de ses concitoyens et à leurs bas de laine. L’amende, finalement ramenée à 50 000 F, est payée dans un délai de neuf jours.
En octobre 1914, alors que dans son cabinet à l’Hôtel de ville, le maire Henri Briffaut est aux prises avec un officier qui exige des logements pour 3 000 hommes, surgit André Pioteix, secrétaire général de la mairie. Subitement inspiré, il coupe l’entretien en s’adressant au maire : « Je rentre de la préfecture où, comme vous le savez, je me suis rendu au sujet des mesures à prévoir pour enrayer l’épidémie de fièvre typhoïde qui vient d’éclater ici. Monsieur le Préfet vous prie de bien vouloir faire apposer des affiches annonçant au public l’existence de cette maladie en indiquant sommairement les mesures à préconiser pour éviter la diffusion du fléau ». Henri Briffaut enfonce le clou auprès de l’officier en ajoutant que plusieurs cas aussi inquiétants que foudroyants viennent de se déclarer. Sans même prendre congé, l’officier s’éclipse comme s’il avait le virus aux trousses ! Et les 3 000 hommes annoncés prennent leurs quartiers à Tourcoing et à Halluin. Tous les médecins de Wattrelos, complices, ne tardent pas à diagnostiquer des cas graves se multipliant. La Ville ne voit plus de casques avec ou sans pointe durant… 29 mois ! Jusqu’au 14 mai 1917, date à laquelle ils ont probablement compris.
En dépit de cette farce savoureuse, la population wattrelosienne souffre terriblement : l’occupant allemand exige une contribution financière délirante de la Ville à l’effort de guerre, bien au-delà de ses moyens. Le secrétaire général a beau faire valoir que Wattrelos est la ville la plus pauvre du département, la Kommandantur n’en démord pas : le 4 juillet 1916, elle exige 1,4 million de francs… alors que les recettes communales ne sont, en 1914, que de 300 000 francs !
La famine, les maladies
La pénurie de ravitaillement devient l’un des problèmes majeurs de la population. Au deuxième mois de la guerre, on manque déjà de charbon. Dès le 13 décembre 1914, le pain blanc est introuvable et les files d’attente devant les boulangeries s’allongent jusqu’à 400 personnes. On manque de pommes de terre aussi : en juin 1915, une émeute éclate à la frontière entre une centaine d’habitants affamés et des commerçants venant en camion de Dottignies à destination de Roubaix et Croix. Des tonnes de tubercules sont ainsi chapardées.
Wattrelos compte pourtant beaucoup de terres cultivées à l’époque, mais les récoltes sont contrôlées et les bêtes recensées, même les cochons d’Inde ! La commune est soumise aux fournitures venant de Belgique, souvent en mauvais état : les denrées sont vendues au magasin municipal L’Innovation, Grand-Place. Les quantités sont largement inférieures aux besoins, d’autant que Wattrelos reçoit moitié moins que Roubaix ou Tourcoing. De mai à décembre 1915, la Ville fournit par exemple 25 grammes de farine blanche par habitant, 3 de margarine, 100 de pâtes…
En 1916, la situation s’aggrave avec la fermeture de la frontière néerlandaise (les fournitures sont acheminées depuis le port de Rotterdam). Les produits de consommation courante deviennent la betterave, le navet, le rutabaga… La dysenterie – la diarrhée verte – fait son apparition, tandis que la rigueur hivernale (l’hiver 1916-1917 est terrible, avec des températures de - 15° et pratiquement plus de moyens de se chauffer) ainsi que la grippe espagnole font des ravages. La Ville recense près de 500 décès par an, près de 600 en 1918.
D’autres facteurs font chuter les chiffres de la population : la déportation vers l’Allemagne en plusieurs vagues (le maire lui-même, Henri Briffaut, est déporté) à partir du printemps 1916, mais aussi l’évacuation organisée par les Allemands de volontaires (voire de volontaires désignés d’office) vers le sud de la France afin de pouvoir diminuer la quantité de denrées à fournir aux communes occupées – de sorte que la situation ne s’améliore pas localement.
Une ville exsangue
Finalement, à l’été 1918, la débâcle allemande s’annonce. Le 15 octobre, la Kommandantur plie définitivement bagage, faisant sauter les ponts du Laboureur, de la rue Catteau et de la gare, mettant le feu aux usines Kuhlmann et Vandendriessche, emportant les chevaux et tout ce qui peut avoir de la valeur, jusqu’aux toiles des fauteuils de l’Hôtel de ville. Le 18 octobre, Wattrelos est libérée par le 11e East Lancashire Regiment et le 15e Corps Cyclist Battalion.
En plus de toutes les victimes civiles, 796 enfants de Wattrelos sont morts pour la France durant cette terrible première guerre mondiale. La population est au bout du rouleau et la ville exsangue : les bâtiments ont été endommagés, beaucoup d’écoles et d’usines ayant servi d’écuries doivent être remises en état, le gros matériel des fabriques a été enlevé ou abîmé, les outils agricoles ont disparu…